Elle avait envie de dormir, ses paupières étaient lourdes et il y avait plus de 26 heures qu'elle n'avait pas vu son lit. Alors qu'une pause de 15 minutes lui était accordée - ?!? - et qu'elle tentait du mieux qu'elle pouvait d'engloutir de café froid qu'elle sirottait, les mots dansait dans sa tête. Elle ne pouvait s'arrêter de penser et c'est probablement ce qui lui permettait de rester éveillée aussi longtemps sans tomber de fatigue. Dans les dernières vingt-quatre heures, elle avait eu droit à une maman qui donna vie à des triplés, un homme qui s'était retrouvé avec je ne sais trop quel objet dans l'arrière train, une dame qui avait chuté brutallement sur la glace et un cas de violence conjugale, sans compter la visite de ses patiens habituels. Oui, elle exerçait le dur métier de médecin dans un hôpital du centre-ville.
Depuis qu'elle était arrivée, on se l'arrachait. Il y avait vraisemblablement un grand manque de personnel pour combler les tâches. Elle avait les traits tirés, mais elle gardait le sourire pour ses patients qui avaient la malchance d'être malade. Elle savait pourtant qu'elle ne pourrait continuer à se permettre un train d'enfer comme celui-là. Si cela continuait ainsi, elle ne se souviendrait plus de la couleur des murs de sa cuisine ni du visage de ses amis. Elle était exténuée, il est vrai, mais elle avait également une vraie vocation pour sa profession.
Chacun des patients qui la rencontrait était heureux de se faire soigner par elle, car elle était calme, douée, sociable, à l'écoute et surtout, elle arborrait toujours un sourire sincère. Elle s'était rendue irremplaçable aux yeux des dirigeants de son département, si bien qu'elle avait toujours de la difficulté à refuser lorsqu'on lui demandait de faire un autre quart de travail à la suite du sien pour toutes sortes de raisons, valables ou non. Elle se comptait chanceuse de ne pas avoir d'enfant, car elle ne savait pas comment elle s'en sortirait si tel était le cas. Elle n'avait surtout pas envie que son rejeton ne connaisse de sa mère qu'une photo qui était posée sur la commode, dans sa chambre.
Elle sourit à cette pensée. Il y a quelques semaines, son conjoint lui avait justement manifesté son désir d'être père et lui avait également fait part qu'il serait temps pour elle qu'elle pense à fonder une famille et qu'elle puisse souffler un peu. Pas qu'une grossesse soit des plus reposant, mais cela lui permettrait de passer un peu de temps de qualité avec son entourage, les gens qu'elle aimait plus que tout. Elle-même, sans vouloir se l'avouer vraiment, commençait à entendre son horloge biologique qui la pressait un peu. Elle venait d'avoir 32 ans et son conjoint en avait 33. Il était doux, tendre, aimant et surtout, TRÈS compréhensif. Il acceptait qu'elle se dévoue autant, sachant très bien que cela était très important pour elle. Il ne lui faisait donc aucun reproche, mais avait silencieusement hâte qu'elle ralentisse un peu la cadence.
Elle et lui s'étaient rencontré lors d'une soirée bénéfice pour amasser des fonds pour les maladies infantiles. Il avait tout de suite été charmé par ce sourire franc et empreint de gentillesse et son élégance. Elle, pour sa part, avait craqué pour sa carrure, son visage et son incroyable sens de l'humour. La soirée avait passée à la vitesse de l'éclair et il avait été fort heureux qu'elle accepte de lui donner son numéro de téléphone. À l'époque, elle était résidente et avait quelques heures de plus par semaine de disponible. Il l'avait rapidement contactée et elle avait vite constaté son intérêt et son sérieux de vouloir s'engager avec elle. Son coeur avait succombé et depuis ils filaient le parfait bonheur.
Un bruit assourdisant la tira de sa rêverie; c'était le téléphone.
- Dr. Damphousse, j'écoute?
- Anna, vite un code 3 dans la salle 6.
-J'arrive à l'instant.
Ne faisant ni une ni deux, elle ajusta son sarrau, jeta son restant de café et partit à la course vers la salle 6. Elle arriva quelques instants plus tard. L'infirmière lui expliqua rapidement la situation et Anna commença à faire les manoeuvres nécessaires pour faire revenir un quincagénaire à la vie. Seulement, les résultats escomptés n'arrivèrent pas.
-Minuit sept, heure de décès de M. Pierre Lemoyne.
Elle n'avait pu le ramener et elle s'en mordait les doigts. Elle savait qu'elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir, mais de n'avoir pu le sauver lui brisait le coeur. Elle avait maintenant la lourde tâche d'aller annoncer la mauvaise nouvelle à la famille. Elle détestait cette partie de son travail qui pour elle, se résumait en échec personnel. Il lui restait encore 6 heures de labeur avant de pouvoir penser à retourner chez elle.
Les patients défilèrent un à un et elle tenta de garder le sourire, ce qui n'était pas facile vu les circontances. Les heures passaient et elle n'avait pas le temps de retourner à ses pensées. Elle soigna un gamin, une vieille dame et une jeune femme qu'on avait dû opérer d'urgence, une tumeur maligne ayant pris des proportions énormes en un temps record. Bref elle n'avait pas chômé et était très heureuse de voir la fin arriver. Elle se débarassa de son sarrau, enfila son manteau et à l'instant où elle vint pour quitter l'hôpital, elle fut terrassée par de violentes nausées et une crise de fatigue intense.
Ce n'était pas la première fois qu'elle était prise avec des hauts le coeur ces temps-ci, mais elle s'était dit que cela résultait sans doute de sa fatigue accumulée. Elle n'avait pas tort. Il fallait qu'elle se repose si elle ne voulait pas craquer, mais jamais elle n'avait eu encore de nausées et de coups de fatigue si intenses. Une de ses amies infirmière accourut à son chevet et lui donna une serviette humide pour qu'elle s'éponge le visage. Elle lui donna également une petite boîte carrée blanche et un sourire. Anna resta surprise de cela. Son amie la regarda et lui suggéra de passer dans la salle d'à côté, juste pour voir, juste au cas où...
Elle protesta, mais finit par obéir. Elle revint quelques 3 minutes plus tard. Elle était sidérée et ne savait pas comment réagir. Après quelques instants de réflexion, elle retrouva son sourire et montra la petite boîte ornée d'un signe positif de couleur bleue à son amie. Son horloge biologique avait décidé que c'était LE moment; c'était son homme qui serait heureux de la nouvelle... Après avoir repris ses esprits, elle s'empressa donc de rentrer chez elle et ils fêtèrent l'heureux événement.
4 commentaires:
Excellent texte!
La suite, la suite, la suite!!!
En effet excellent texte.
F.
Voilà que la vie la remerciait pour ses efforts. On dit que rien n'arrive pour rien.
¤ Isa : Merci bcp :) À suivre ... peut-être :)
¤ Miss F : Merci et bienvenue chez moi :)
¤ Marc-Alex : Belle conclusion :) Et bienvenue aussi :)
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